Lenouveleconomiste : La nébuleuse Al Qaïda

Lenouveleconomiste : La nébuleuse Al Qaïda

Depuis le choc terrible du 11 septembre, les gouvernements successifs des Etats-Unis font sur le terrorisme jihadi de Ben Laden, Zawahiri et consorts, une fixation qui, à la longue, tourne à l’obsession. Hier (ce qui encore se comprend) pas moyen de détourner l’attention de GW Bush de ce seul péril, vu comme écrasant tout autant que permanent. Or ce péril aujourd’hui hélas, obnubile toujours Barack Obama : Ben Laden aujourd’hui plus qu’hier, et moins que demain.De par le poids même de la superpuissance américaine et la domination de ses médias, l’obsession de la Maison Blanche a gagné le monde entier, puis le champ de l’économie (par le biais du blanchiment de l’argent terroriste). Si bien que, depuis une décennie, voici la planète en ordre de bataille contre un ennemi donné pour immense et omniprésent, dont la réalité même s’efface toujours plus derrière un effrayant monstre médiatique.

Cependant, dans la réalité des faits constatés sur le terrain, et dans un domaine absolument vital pour la survie même du courant jihadi qu’il incarne, le monstre ben Laden va plutôt mal.

Cela dit, attention à la démobilisation prématurée ! Bien sûr, il y aura encore des attentats, même graves ; bien sûr, de nouveaux fanatiques s’engagent tous les jours encore dans la voie du jihad. Néanmoins, voyons, lisons : en son cœur doctrinal même, à la source précise de sa légitimité “spirituelle”, le socle même sur lequel s’édifia “al Qaïda” vacille et se fissure sous nos yeux.

D’abord, depuis quelque deux ans, des chefs terroristes repentis et des autorités religieuses musulmanes parmi les plus radicales, de celles qui naguère soutenaient encore Ben Laden de leurs avis religieux (« fatwas ») et de leurs sermons – condamnent désormais durement toute forme de terrorisme entre musulmans.

Condamnation du terrorisme entre musulmans
En Algérie, le chef terroriste repenti Hassan Hattab déclare au périodique arabophone al-Hayat (mars 2009) “Nous avons constaté que les ulema [docteurs de la foi] s’opposaient à la poursuite de la violence et cela nous a poussé à mettre fin à nos opérations. Plus un seul religieux ne soutenait notre combat contre le gouvernement. Auparavant, ils restaient silencieux mais là, ils prenaient ouvertement parti contre la violence”.

En Jordanie, le mufti salafiste et jihadi (d’origine palestinienne) Abu Muhammad Asem al-Maqdisi, dont les écrits influencèrent décisivement Ben Laden et qui fut en outre le co-détenu et un actif soutien du défunt Abu Musab al-Zarqawi, dénonce maintenant tout terrorisme islamique. Même, ce qui est inouï, la terreur visant les chi’ites, d’usage considérés comme “hérétiques” par les salafistes.

En Egypte, le célèbre prêcheur musulman “Docteur Fadl”vitupère aussi violemment le jihad sanglant et condamne sans réserve le massacre de musulmans innocents au nom de l’islam. Or sous son nom d’état-civil, “Dr. Fadl” (incarcéré à vie) est en réalité Sayyid Imam al-Sharif, idéologue et premier émir du Jihad d’Egypte (groupe terroriste auteur de l’assassinat du président Anouar el-Sadate en octobre 1981). Surtout, al-Sharif fut le mentor et guide spirituel d’Ayman al-Zawahiri, son propre successeur comme émir du Jihad d’Egypte, avant qu’il ne rejoigne Ben Laden !

Depuis le Qatar, Yusuf al-Qardawi, le plus illustre des « télévangélistes » de l’islam, un proche des Frères Musulmans dont les sermons édifient chaque semaine des dizaines de millions de fidèles, condamne fin 2009 “les extrémistes en guerre contre le monde entier, tuant aveuglément, souillant l’image de l’islam et donnant leurs meilleures armes aux ennemis de notre foi” – concrètement, tout ce que fait Ben Laden.

Début mars encore, dans une “fatwa” de six cents pages, l’érudit soufi (variante mystique de l’islam) pakistanais Muhammad Tahir ul-Qadri condamne à son tour sans réserve les terroristes comme d’« inexcusables » ennemis de l’islam, les vouant pour conclure aux “feux de l’enfer”.

Toutes ces condamnations ont, ensuite, suscité un malaise croissant au sein des groupes islamistes ayant fait allégeance à Ben Laden. Depuis deux ans, plusieurs d’entre eux ont ainsi publié des textes de “révision” – expression cachant de pures et simples renonciations au terrorisme. En Egypte, sous l’influence du “Dr. Fadl”, le Jihad et la Jama’a islamiya ont dénoncé la violence armée. Plus significativement encore, le Groupe islamique combattant libyen, parmi les plus virulents de la planète salafiste et absolument inféodé à Ben Laden, faisait en juillet 2009 la paix avec le régime de Kadhafi.

Tensions – dissensions – révisions
Résumons : tensions – dissensions – révisions, le ver est bel et bien dans le fruit salafi-jihadi, chaque jour le prouve un peu plus.

Ainsi, sans crier prématurément victoire et avec toute la prudence requise, les responsables européens de la sécurité doivent maintenant envisager l’avenir – avec une perspicacité telle qu’ils seraient dans l’avenir moins surpris par une future agonie d’al-Qaïda, qu’il ne le furent à l’origine par sa brutale émergence.

Question clé : sur la route d’al-Qaïda, quelles sont les prochaines étapes ? Bien sûr le calendrier de la désagrégation de la galaxie Ben Laden est imprédictible : chaque jour adviennent par dizaines des événements qui tous, hâtent ou à l’inverse, ralentissent ce processus.

L’avenir d’al-Qaïda se joue donc à l’intersection de plusieurs forces positives ou négatives : ce que fait l’entité jihadie pour se protéger ou frapper ses ennemis ; ce qu’au contraire, ses ennemis ourdissent pour la détruire.

Fuite en avant, repli piétiste,
ou dégénérescence criminelle

Mais on peut bien sûr – et même il importe de le faire dès maintenant – guetter les premiers signes, les prémices d’une future désagrégation d’al-Qaïda.

A l’issue d’un processus centrifuge que l’on peut dès aujourd’hui déceler du fait qu’il est prévisible, et dont seule la durée nous échappe encore, la nébuleuse al-Qaïda finira par éclater en trois blocs inégaux :

- Fuite en avant de jihadi irréductibles ; se découvrant, ils deviendront plus faciles à frapper – à l’expresse condition que l’on prenne soin de distinguer, au sein de l’opinion publique musulmane globale, les indignés des fanatiques – l’inverse de ce qui se fait aujourd’hui de l’Irak à la Palestine.

- Repli piétiste : une partie de ceux que les médias saoudiens appellent “les égarés” rentrera finalement au bercail – ce processus est déjà en cours – toujours salafistes et puritains certes, mais désormais plus terroristes.

- Dégénérescence criminelle : on en voit les premiers signes, notamment en Afrique, où des bandes se disant “islamistes” parcourent le Sahara et ses confins en menant d’ores et déjà, disent des experts locaux, une double vie “Jihad le jour, Marlboro (entendre, trafic massif de cigarettes) la nuit”.

Devenus de simples criminels, de tels “moujahidine dégénérés” useront alors à leur profit des talents terroristes acquis lors du jihad. Notons ici que ces groupes hybrides, à la fois aguerris, féroces et capables de s’autofinancer par divers trafics, sont spécialement coriaces et difficiles à démanteler.

Au delà du combat quotidien contre les réseaux islamistes, c’est sur de tels hybrides que l’attention des services officiels doit désormais se porter. Bien connaître dès leur émergence ces entités hybrides, c’est la garantie de pouvoir ensuite efficacement les “environner”, les pénétrer, pour les mettre ensuite hors d’état de nuire.

Source : http://www.lenouveleconomiste.fr/2010/03/30/la-nebuleuse-al-qaida/

Comments

Top